samedi 24 janvier 2015

Si j'avais su

Si j'avais su qu'en fait, cette couverture n'etait pas si large, je ne me serais sûrement pas obstiné à la tirer vers moi toutes les nuits. Ou alors j'en aurais acheté une autre, j'habite à 15 minutes d'un magasin de literie.

Si j'avais su qu'une odeur peut partir très facilement au lavage, je ne me serais pas précipité au lavomatic ce matin.

Si j'avais su que j'allais me fracturer la main, je n'aurais sûrement pas voulu donner ce coup de poing dans ma porte cette après-midi.

Si j'avais su que l'opération "Vider la corbeille" était définitive, je n'aurais pas essayé de me persuader que l'on peut effacer, dans un geste voulu puissant, 5 ans de photos de vacances en 5 secondes.

Si j'avais su que finalement, je les aimais bien ces pantoufles débiles en forme de Hello Kitty, je n'aurais pas crié que jamais plus je ne voulais les voir à côté de mes charentaises.

Si j'avais su qu'un gobelet pouvant contenir deux brosses à dents parait très grand quand il n'y en a plus qu'une seule.

Si j'avais su que quand une femme nous réduit en miettes, c'est elle qui pleure, j'aurais essayé de ne pas lui briser le cœur par la même occasion.

Si j'avais su que tu me quitterais ce soir, je n'aurais pas dit ces mots-là. Ou j'en aurais dit d'autres. Des mots qui m'auraient évité de ne plus avoir que le futur et le passé antérieurs comme choix. Car il n'y aura plus de mots. Simplement passer du "j'avais su" au "j'aurais du", en permanence aura pour toujours une odeur: ton odeur, celle des regrets qui ne partent pas au lavage.

Si j'avais su que l'on peut descendre d'un piédestal aussi vite qu'en monter, je ne t'en aurais pas érigé des tonnes.

Si j'avais su que l'amour qu'on nous vend avec force tenait à si peu de choses, je ne me serais pas engagé dans ce processus qui ne concerne que ceux qui gagnent.
Toujours.
Et jamais ceux qui ne gagnent qu'à la fin.


samedi 10 janvier 2015

Random - 2

Défi lors de l'atelier d'écriture 42: 

Ecrire en 15 minutes un texte comprenant les mots suivants:
hippopotame - poutre - entourloupe - éphémère - chocolat - luxure - obsolète

Du jour au lendemain, j'aimerais bien devenir un animal. Me transformer, à la manière des Animorphs.
J'en ai assez de la vie des humains, cette futilité, cette luxure permanente, toutes ces guerres pour des motifs obsolètes...

J'ai donc été voir un sorcier, dans la forêt de Rambouillet. C'est bien connu, la forêt de Rambouillet abrite son lot de sorciers, magiciens et autres elfes sylvains. Si si, je vous assure, sortez de la station de RER, et vous trouverez à gauche après la boutique de chocolats.

Je voulais devenir un animal que tout le monde trouverait beau, ou touchant. Un animal qui serait en dehors de toute haine humaine. Loin des conflits systématiques, détaché du pouvoir, du sexe, de l'argent, de tout ce qui corrompt l'esprit. Le bon compromis était de devenir un éphémère.

Vous les connaissez? Ce sont de joyeux papillons, rares, qui ne vivent que quelques jours. Ces petites bêtes sont quasiment invisibles: elles peuvent se poser sur un toit, une poutre, une table; elles pourraient même se poser sur la tête de quelqu'un, qu'on les remarquerait à peine. Exactement ce qu'il me fallait.

Je trouvai donc ce sorcier, au détour d'une clairière: je lui fis part de mon souhait, et il me chanta la formule suivante:
"Axifangor Elfilmili Istarrouth Esghiiiil"!
Je ressentis alors une grande torpeur m'envahir. Je me sentis grandir, grossir. Ma bouche devint immense, se gonfla, se remplit de dents énormes. Ma peau perdit toute sa couleur, et devint tour à tour très pâle, puis carrément grise. Mais c'est quand je me réveillai que je pris conscience de l'entourloupe.

Il m'avait transformé en hippopotame. Ça m'apprendra...

Moralité:
Si vous passez par Rambouillet, arrivés devant la boutique de chocolats, ne tournez pas à gauche. Entrez plutôt dans la boutique, et commandez une boîte de calissons. Ça vous fera toujours moins grossir.

dimanche 4 janvier 2015

2014 - C'était bien, en fait

Alors que la nouvelle année va me relancer à la face son lot d'incertitudes et d'imprévisions, je jette un coup d'œil dans le rétroviseur.

2014 aura été l'une des années les plus mouvementées de ma vie. Y a pas eu mort d'homme ou de femme, c'est déjà ça, mais mort de certitudes et de vaches sacrées. Je me laisse le temps de juger, avec le recul, si c'est une bonne chose ou pas.

L'année a commencé dans la petite ville d'Ecouen, où je passais mes nuits chez un couple d'amis de mon frère, quasi des inconnus. Mais surtout, un couple. Moi qui ai en permanence l'impression de déranger, dormir chez un couple aura été une expérience plutôt très pénible à vivre. Sans compter mon mode de vie toujours aussi décousu, et mes troubles du comportement alimentaire pas franchement adaptés à la vie en colocation.

Et même sans ça, je ne pouvais pas me permettre de rester très longtemps dans cet hébergement dépanneur mais précaire. Afin de me rapprocher un peu de mon école, je décidai de contacter un ancien collègue d'asso. Ironie du sort, trois ans après, c'est une nouvelle fois G2L2 Corp qui me permet de m'accrocher à une branche inespérée avant le ravin. Mes vingt kilos d'affaires et moi arrivions ainsi dans le quartier de Belleville, à Paris, où j'allais faire la connaissance d'une échelle et une mezzanine, avec qui mes relations seront plus complexes que prévu.

Prévoir, justement, c'était ce qui me faisait cruellement défaut à ce moment-là. Plus j'avais d'affaires, et plus on s'approchait dangereusement de la limite des 120 kilos que pouvait supporter cette mezzanine. Les nuits se passaient donc avec une crainte (certes limitée) de se voir passer à travers le lit un beau matin.
Enfin, j'avais oublié, ou fait mine d'oublier faute de mieux, ma crainte de dormir en hauteur. Déjà enfant, passer mes nuits en hauteur équivalait à son lot de grognements nocturnes et d'inconfort plus ou moins fréquent: j'ai pu constater à mes dépens que cet inconfort des hauteurs ne faisait pas partie de ce qui disparaît avec les années.
Après avoir retrouvé à plusieurs reprises mon échelle, mon oreiller, mon téléphone ou ma tablette éclatés sur le sol deux mètres plus bas, je finis au bout d'un mois, par me résigner: cette solution d'hébergement n'avait pas non plus d'avenir stable.

C'est peut-être à ce moment-là que les choses ont été les pires possibles. Faute de mieux, je ne pouvais que dormir dehors. Je conservai mes affaires dans la mezzanine bellevilloise, mais je n'avais pas de toit sur la tête. Enfin pas légalement, du moins. J'ai passé un mois et demi à dormir sous des tables, sous des ordinateurs, sur des chaises alignées, dans l'école 42. Non seulement ça n'étais pas autorisé, mais ça n'était pas recommandé non plus. Mon humeur a fini par en pâtir. Je devenais irascible, extrêmement susceptible, ne supportant rien, et mes barrières de sociabilité tombaient les unes après les autres.
Je ne dirais pas spécialement que j'ai traversé la même chose que les clochards que vous croisez en bas de chez vous, n'abusons pas, mais je comprends la haine de tout que ces gens ressentent. Quand vous ne savez pas où dormir, où vous laver, où manger un repas chaud, un rien suffit à vous mettre hors de vous...
...
Et à mettre les autres hors de vous.
D'abord mon frère. Les tensions s'accumulaient, je ne pouvais pas supporter de le voir lui aussi plonger dans d'autres affres, ceux du chômage et des blocages administratifs. Je tentais de lui prêter un ordinateur, je le lui reprenais quand je l'estimais indigne du cadeau que je lui avais fait. Je lui jetais des kilos de purin à la tronche, sûrement représentants de cette colère contre moi-même. Je n'ai jamais été très bon pour gérer les transferts.
Puis Estelle. À force d'avoir des conditions de vie déplorables, je m'attendais à ce que les amis le déplorent aussi. Seulement, les problèmes des uns ne sont pas ceux des autres, en dépit de toute empathie. La patience est une passion mais surtout, la passion a sa patience. Et donc ses limites.
"Quand je n'avais pas le temps pour toi, moi j'en trouvais quand même". Cette phrase a fait sur moi l'effet de vinaigre sur des plaies ouvertes. Celui qui te cloue au sol, alors que tu sais que l'arbitre a compté jusque 8, et tu ne veux même pas prendre le temps de lutter pour deux secondes.
L'une des valeurs les plus sûres disparaissait donc à son tour de ma vie, réveillant ma haine des piédestals et de ceux qui les font.

Au milieu de ce véritable chaos, j'essayais quand même de travailler un peu, et j'obtenais des résultats très moyens pour mon premier semestre de 42. (Deux "modules" validés sur 3, dont un d'un cheveu). Poussé par mon camarade Ludo, je forçais un coup de collier en mars-avril pour les deux semaines intensives de Web. Histoire de sauver ce qui pouvait l'être niveau scolaire: travailler dans les phases de rush au moins.
Car il faut bien l'avouer, pour le reste le cœur n'y était pas. Le mental n'y était pas. Je ne saurais pas décrire pourquoi, mais passer 24h par jour dans une école a de quoi user une volonté. Surtout quand ce n'est pas voulu. Se lever en pyjama le matin dans les couloirs, aller prendre une douche en voyant ses camarades se diriger vers les salles machine a quelque chose de terriblement fort symboliquement.

Et comme souvent dans ces cas, ma bonne étoile finit toujours par trouver une solution sans que je fasse quoi que ce soit. Je croisais une ancienne camarade de lycée, pas revue depuis 9 ans, comme par hasard dans le même métro que moi. Et comme par hasard toujours, elle connaissait des gens qui pouvaient me loger pas cher dans Paris.
Après une rencontre sommaire avec mes (donc) futures colocataires, habitant Alfortville. Je sentis dès le départ que les relations seraient compliquées. Une différence d'âge de 10 et 15 ans, pour deux jeunes femmes plutôt dans le genre "artistes". Comprendre par là fumage massif de joints et de clopes, jusque 5 ou 6h du matin, tous les jours ou presque. Pas vraiment le meilleur contexte quand on est censé travailler 90h par semaine et se reposer la nuit. Mais faute de grives, on mange des merles, alors je me contentai de ça. Mes affaires déménagèrent pour la cinquième fois en sept mois, et je me posai au milieu de ces deux femmes un peu étranges, mais avec qui, bizarrement, ça s'est plutôt mieux passé que prévu. Il faut dire que je passais la plupart de mon temps cloitré, entre les murs de ma chambre et mon école.

Comme un symbole, c'est à ce moment-là que je choisis de me barricader au maximum: je changeai de numéro de téléphone, et ne le donnai qu'à une poignée de personnes scrupuleusement choisies. Je changeai d'adresse aussi, et je ne la donnai à personne, pas même à mes logeuses chez qui je ne faisais pas arriver mon courrier. Cette bunkerisation est un phénomène assez courant chez moi, c'est ma façon à moi de réagir aux crises profondes. Certains se rebellent, se sentent pousser des ailes, d'autres rasent les murs. Moi, j'abats les murs, je rase la maison et m'enterre sous le chantier. Je ne me sens pas capable de faire autrement.

Dans ce nouveau contexte, je repris un peu du poil de la bête niveau scolaire, et bien que plus isolé que jamais, j'obtins de toute justesse les conditions requises pour partir en stage. Une bonne nouvelle au plus mauvais moment. Que faire? Rien n'est prêt, le processus positif que ce genre de nouvelle vient conclure n'est absolument pas en place. Donc encore une fois, je comptai sur la chance pour m'aider, ce qu'elle fit au-delà de mes espérances.
Un collègue étudiant posta une annonce de stage sur le forum de 42, pour un stage...à Lyon. Pourquoi pas? Nous étions alors mi-mai, et j'hésitai entre plusieurs solutions un peu partout. En parallèle de ça, je trouvai une nouvelle solution de logement, pour juillet. Si jamais je venais à rester à Paris.

Mais un événement vint chambouler la donne. La première semaine de juin s'organisait grâce à mon association la deuxième édition du Star Geek Universe à Lyon, petite convention modeste mais généreuse autour de ce que je me refuse toujours d'appeler "culture geek". J'avertis les responsables de l'association que je serais de la partie.
Faute de temps pour m'organiser et de capacité à en avoir (du temps), je dus arriver à Lyon tard le soir. Et à peine sorti de la voiture qui m'y amenait, j'éclatai en sanglots. La paix. Enfin, les voix dans ma tête se taisaient. J'étais dans un cadre bienveillant, loin de l'enfer inerte de ces derniers mois. Par un mécanisme que j'ai encore du mal à expliquer, je me sentais en sécurité où j'étais. Je passai deux nuits à inonder mes draps de larmes de joie, résultat de six mois durant lesquels au fur et à mesure, je sentais le monde s'écrouler autour de moi.

C'est en rentrant à Paris que j'ai dit relancé sans hésiter le stage lyonnais. Il me fallait revenir pour refaire le plein, me remettre à l'endroit. Après un entretien Skype où, je l'ai su après coup, j'ai fait plutôt bonne impression, j'obtenais un accord pour effectuer mon stage dans une start-up lyonnaise.

Et franchement, ce furent quatre mois complètement over-the-top. J'ai appris énormément de choses, j'ai rencontré deux gars aussi cool que sérieux quand il faut l'être, mes soucis financiers disparurent doucement grâce à plusieurs heureux concours de circonstances, puis les liens vers mes anciens piédestals se reconstruisirent, plus fragiles certes, mais avec cette prudente assurance qu'engendre les précédents qui déchantent.
Je revins pour la première fois à Paris début novembre pour honorer un cadeau qu'on m'avait fait. Une place au Zénith de Paris pour le concert de Lindsey Stirling. Et... quelle joie ce fut. Quel délice ce fut. Certainement l'un des plus beaux concerts qu'il m'aie été donné de voir. Je ressortis de la salle avec des étoiles plein les yeux et des violons plein les oreilles.
J'en profitai pour repasser par 42, où je compris une première fois que les choses avaient changé. Qu'il s'était passé quelque chose. Les regards des autres avaient changé. Dans le bon sens.
Est-ce le temps sans me voir qui créait une sensation de manque, et un plaisir des retrouvailles? Le contexte d'une soirée créant ce qu'il faut de bons sentiments? Je n'ai pas la réponse. Mais j'ai vu des gens contents de me revoir, comme si les mois de bête curieuse appartenaient au passé.

Je terminai mon stage avec un mélange de satisfaction et de regrets que ça n'aie duré plus longtemps, et après un mois de novembre où j'assistai pour la première fois de ma vie à un mariage d'amis à moi (et comme prévu, j'ai chialé), je reviens à Paris pour un mois de décembre où tout restait à écrire.
Ce mois se termina rempli de certitudes. Un toit au-dessus de la tête, l'assurance de ne pas manquer, des amitiés en bonne voie de reconstruction.

Ces petites choses qui ne signifient rien pour les gens qui réussissent, mais de vraies réussites pour ceux dont la vie, à un moment, n'a plus rien signifié.

Et comme en France, tout finit par des chansons, je laisse le mot de la fin à Sarah Slean qui saura chanter mieux que moi les niaiseries.

https://www.youtube.com/watch?v=YvBW7J7B9nE